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Des jeux pour développer les capacités exécutives au service des apprentissages (Interview de Gregoire Borst et Olivier Houdé)

19 juin 2024

Occitadys a recueilli les propos d’Olivier Houdé et Grégoire Borst, Professeurs de psychologie à l’Université Paris Cité, respectivement Directeurs honoraire et actuel du laboratoire LaPsyDÉ du CNRS à la Sorbonne. Auteurs de nombreux ouvrages dont, ensemble, Le cerveau et les apprentissages (Nathan), ainsi que des livres pour enfants sur le cerveau (un Questions ? – Réponses ! et un KIDIDOC chez Nathan également). 

 

Vous avez souhaité développer un jeu en partenariat avec le réseau Léa.fr afin de renforcer les capacités d’inhibition des enfants. Pouvez-vous nous le présenter ?

C’est la série de jeux FLEXIGAME chez Nathan, en français, mais aussi traduite simultanément en de nombreuses langues et diffusée dans le monde entier. C’est du « Made in France » scientifique et pédagogique – il faut le dire car c’est rare !

Entraîner l’inhibition et la flexibilité, c’est apprendre à apprendre, en se dégageant des automatismes lorsqu’ils deviennent erronés. Autant le faire plus systématiquement dès l’école maternelle par le jeu à deux ou en ateliers, en s’amusant, ce qui est encore mieux ! C’est la meilleure façon de préparer le cerveau des enfants à éviter beaucoup d’erreurs et blocages cognitifs qui s’observent déjà en maternelle ou qui se feront jours dans les apprentissages fondamentaux ultérieurs : lire, écrire, compter, penser (ou raisonner) et respecter autrui.

Chacun des jeux FLEXIGAME repose sur le principe démontré scientifiquement d’un entraînement efficace de la flexibilité cognitive du cerveau : 1/ le jeu met en place une règle pendant un certain temps (un geste particulier à faire, un critère de catégorisation à utiliser telle la forme ou la couleur d’objets à ranger ou poser, etc.) et ensuite 2/ on change ou même on inverse la règle, alors la capacité de contrôle inhibiteur de l’enfant est directement sollicitée : inhiber une réponse préétablie, une association habituelle, pour en activer une nouvelle. Cela entraîne sa flexibilité cognitive et comportementale. C’était déjà intuitivement connu de tous les parents, éducateurs ou professeurs, par des petits jeux tels que « 1, 2, 3 soleil », « Jacques a dit » ou « Ni oui, ni non », qui sont de bons moyens d’exercer très tôt l’inhibition des automatismes et la flexibilité cognitive des enfants. Nous avons, par nos jeux, systématisé ce principe pour la cognition et les apprentissages du cerveau en général.

 

Quelle importance ont les capacités d’inhibition pour les apprentissages ?

A l’école, on apprend souvent par la répétition, la pratique et l’automatisation. C’est très bien, mais le cerveau des élèves doit aussi apprendre à fonctionner par le schéma inverse : inhiber ses propres automatismes ou « heuristiques », c’est-à-dire ses façons habituelles de fonctionner, de répondre, pour changer de stratégie. Nous l’avons démontré dans notre laboratoire du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) à la Sorbonne, le LaPsyDÉ : Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’Éducation de l’enfant.

C’est ce que l’on appelle la flexibilité mentale ou cognitive. Cette capacité est très importante pour l’intelligence des enfants. Son siège est situé à l’avant du cerveau dans le lobe frontal. On parle plus précisément du cortex préfrontal pour désigner notre capacité à résister aux automatismes de réponse. Grâce à l’imagerie cérébrale, nous avons observé ce qui se passe dans le cerveau à différente étape du processus de flexibilité cognitive lors d’un jeu de logique. Avant l’entraînement, le cerveau reste bloqué sur un premier automatisme de réponse et seule sa partie arrière s’active. Mais après l’entraînement avec un professeur ou tuteur (via une consigne d’inhibition), ne serait-ce qu’une demi-heure à dire STOP à son automatisme, c’est-à-dire à changer de stratégie de raisonnement, l’activité du cerveau de l’élève se déploie tout à l’avant, dans le cortex préfrontal. C’est une grande découverte des neurosciences ! 

 

Que dit la science sur l’utilisation des jeux dans les apprentissages ?

De Montessori aux sciences cognitives, en passant par Freinet (préférant toutefois le travail au jeu), toutes les données scientifiques démontrent qu’une pédagogie créant un réel défi personnel ou collectif pour les enfants, avec des feedbacks rapides et réguliers (je gagne ou je perds), permet au cerveau de progresser et de beaucoup mieux apprendre, mobilisant tout à la fois ses émotions et son intelligence stratégique. L’un de nous l’a particulièrement décrit dans son dernier livre, L’école du cerveau. De Montessori, Freinet et Piaget aux sciences cognitives (Houdé, 2024, chez Mardaga). 

 

Pour en savoir davantage :

Présentation des jeux FLEXIGAME : https://www.calameo.com/read/005053473d99e036b95c8

Comment le jeu peut constituer un vecteur de l‘apprentissage et du développement de l’enfant (conférence présentée par Grégoire Borst lors de la Journée Académique sur les Pratiques ludiques, organisée par la CARDIE-EAFC de Créteil le mercredi 23 novembre 2022) : https://www.youtube.com/watch?v=mpeNiFGieqk