Prévention des difficultés d’acquisition du langage écrit : Occitadys rassemble les équipes francophones pour définir des projets régionaux de prévention
Par Valérie Katkoff, cheffe de projets Prévention, Françoise Joseph, médecin coordonateur, et Thiébaut-Noël Willig, pédiatre et président d'Occitadys.
L’illettrisme est défini par l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) comme « la situation de personnes qui, après avoir été scolarisées en France, n’ont pas acquis une maîtrise suffisante de la lecture, de l’écriture, du calcul, des compétences de base, pour être autonomes dans les situations simples de la vie courante. » (1).
L’apprentissage de la lecture est problématique pour de nombreux enfants. En France, en 2015, 40 % des élèves étaient en difficulté à la sortie de l’école primaire : ils n’étaient pas en capacité d’identifier le sujet principal d’un texte, de comprendre des informations implicites et de lier deux informations explicitées séparées dans le texte (2). Plus préoccupant, l’évaluation internationale PIRLS (Progress In Reading Literacy Study) de 2016 visant à mesurer les performances en compréhension de l’écrit des élèves après 4 ans d’enseignement (fin de CM1 en France) fait apparaître une dégradation des performances des élèves en matière de compréhension de l’écrit (3). En chute de 14 points depuis 2001, ces résultats placent la France en deçà des moyennes nationales européennes. Ce recul des performances touche davantage la capacité à mobiliser des processus de compréhension complexes (interpréter/apprécier) que les processus les plus simples (prélever/inférer).
Les études montrent également que les difficultés à l’écrit, et en particulier en lecture, présentes au début de l’apprentissage ont tendance à perdurer. Ainsi le rapport PISA de 2016 (4) montre que 40,5 % des élèves de 15 ans ne maîtrisent pas la lecture et que 21,5 % sont en grande difficulté. Ces difficultés en lecture se retrouvent à la fin du cycle d’instruction obligatoire : en 2020, 20,4 % des participants aux journées de défense et de citoyenneté sont des lecteurs non efficaces (5) ( 4,6 % des participants peuvent être considérés en situation d’illettrisme. Ils se caractérisent par un déficit important de vocabulaire. 4,9 % ont, quant à eux, un niveau lexical oral correct, mais ne parviennent pas à comprendre les textes écrits. 11,9 % ont une maîtrise fragile de la lecture mais parviennent à compenser leurs difficultés pour accéder à un certain niveau de compréhension.)
Or la capacité à comprendre l’écrit doit « permettre à chacun de réaliser ses objectifs, de développer ses connaissances et son potentiel et de prendre une part active dans la société » (6). Les conséquences de ces difficultés ont donc un coût important à la fois sur le plan personnel et sociétal (7,8). Ainsi, le niveau d’éducation est le facteur qui prédit le mieux l’état de santé d’une population (9). L’entrée dans les apprentissages étant décisive pour la réussite ultérieure, il est nécessaire de lutter contre l’illettrisme en identifiant le plus tôt possible les premières difficultés et en prévenant leur accumulation.
Les objectifs d’une politique de prévention efficace s'envisagent alors selon 3 axes :
- Le recensement des facteurs de risque et des facteurs de protection de développer des difficultés d'apprentissage du langage écrit,
- La stimulation des facteurs de protection par des actions universelles proportionnées et ciblées,
- Le repérage des enfants à risque et leur prise en charge.
Plusieurs facteurs de risque ont été établis concernant les retards dans l’apprentissage de la lecture et le trouble spécifique de l’apprentissage du langage écrit (dyslexie).
Le statut socio-économique joue un rôle majeur dans les performances de lecture (10,11). Ainsi, en France, il est possible de constater de fortes inégalités de performances selon la catégorie socioprofessionnelle des parents (12). Dans une étude menée auprès d’enfants français d’âge préscolaire, Bara, Colé et Gentaz (13) ont montré que les performances de littéracie précoce(en conscience rimique, vocabulaire, connaissance des lettres et en décodage) d’enfants scolarisés en Réseau d’Education Prioritaire (REP), et issus pour la majorité de milieux socio-économiques défavorisés étaient inférieures à celles d’enfants de classes régulières, et issus pour la plupart de milieux socio-économiques moyens, en particulier sur le niveau de vocabulaire alors qu’aucune différence significative n'était observée sur la mesure du niveau cognitif non-verbal. De même, si 5% à 15% des enfants des classes ordinaires ont des difficultés sévères de maitrise de la langue écrite en CP, ce taux peut dépasser 25 % dans certaines zones défavorisées (14) et lors d’une dictée proposée à des élèves de CM2 en 2015, les enfants de parents ouvriers et de parents sans emploi ont fait moitié plus d’erreurs que les enfants de parents cadres (15).
La France est l’un des pays européens où le lien entre le statut socio-économique et la performance scolaire est le plus fort : dans l’étude PISA de 2018, l’écart de score en compréhension de l’écrit entre les élèves de milieu social favorisé et défavorisé était supérieur à la moyenne de l’OCDE. (16)
Le facteur statut socio-économique est complexe : son effet est lié à l’hérédité, à des facteurs environnementaux, aux différences dans les interactions précoces entre parents et enfants, incluant des activités formelles en lien avec la lecture… (17).
Un retard de langage oral est en lui -même un facteur de risque de difficultés en langage écrit.
Les difficultés peuvent également être liées à la présence d’un trouble médical : trouble développemental du langage oral, trouble spécifique du langage écrit, trouble du développement intellectuel, trouble de l’attention, trouble du comportement, déficit sensoriel…
Le trouble spécifique du langage écrit (TSLE) concerne 5 à 8 % des enfants. La théorie du déficit phonologique est considérée à ce jour comme l’hypothèse cognitive principale de ce trouble (18). Le premier facteur de risque de TSLE identifié est l’hérédité. En effet, ce trouble est plus fréquent chez les enfants issus d’une famille où l’on observe déjà des troubles du langage écrit : un enfant a jusqu’à 8 fois plus de risques d’être dyslexique si l’un de ses parents est dyslexique. L’étude comparée de jumeaux mono- ou dizygotes permet d’établir que l’héritabilité de la dyslexie est de l’ordre de 50 à 60 %. (19). Le risque est également 4 à 6 fois supérieur chez le garçon que chez la fille.
Certains autres facteurs de risque ont été identifiés pour les troubles neurodéveloppementaux : prématurité, retard de croissance intra-utérin, exposition prénatale à des toxiques et souffrance néonatale (20). L’origine du TSLE est ainsi multifactorielle et d’autres facteurs, environnementaux, restent difficiles à identifier. Ainsi une étude chez des participants dyslexiques et leur fratrie a montré que l’interaction d’un gène avec le poids de naissance et le statut socioéconomique parental module les performances de lecture (21).
Au total, le repérage avant le CP des enfants à risque est important pour mettre en place un soutien précoce. Cela permet aux enfants d’éviter de rentrer dans une spirale d’échecs et de conserver la motivation interne nécessaire aux apprentissages.
Dès le plus jeune âge, il est essentiel de soutenir le développement du langage oral des enfants, surtout de ceux dont les antécédents familiaux indiquent une possibilité de risque d’échec en lecture. La lecture partagée parent-enfant peut être particulièrement bénéfique. Elle pourrait agir comme un facteur de protection en favorisant le développement du langage oral (enrichissant en particulier le stock lexical) et, par-là, secondairement, la compréhension de la lecture également. Elle soutient aussi l'intérêt des enfants pour la lecture. Sa contribution sur le développement des capacités en littéracie dépend de la qualité des interactions parent-enfant (14). Ces interactions ne sont pas unidirectionnelles des parents aux enfants : les enfants choisissent des activités et leurs caractéristiques suscitent des réactions de l’environnement. (22)
Ensuite la qualité de l’enseignement de la lecture peut avoir un impact énorme sur les enfants les plus susceptibles d’être atteint de trouble de l’apprentissage du langage écrit. Les facteurs prédictifs principaux de difficultés d’apprentissage de la lecture avant le CP sont la conscience phonologique, la dénomination rapide, la connaissance des lettres et le stock lexical. Des mesures de conscience phonologique et de dénomination rapide automatisée, effectuées à l’âge de 5 ans, contribueraient ainsi à classer correctement 80 % des cas de lecteurs en difficulté versus normaux lorsqu’ils atteignent l’âge de 10 ans (23). Selon Rolland Goigoux, « la performance des élèves au début du CP à une épreuve de compréhension de textes narratifs entendus est le meilleur prédicteur en lecture-compréhension en fin de CE1 » et « explique, à elle seule, un tiers de la variance des performances, soit bien plus que le niveau en conscience phonologique des mêmes élèves au début du CP »(24).
Comme le rapporte Catherine Billard (25), « de nombreuses études ont prouvé qu’une réponse pédagogique précoce, répondant aux critères stricts de la littérature scientifique, permet de réduire le pourcentage de faibles lecteurs sans autre action, comme le montrent en France le programme « Parler, Lire, Écrire » (26), et en Floride le programme pédagogique de Torgesen (27). Si l’on considère les dyslexiques sévères, il leur est également possible d’acquérir une lecture fonctionnelle au prix d’une prise en charge coordonnée, pédagogique et de soins intensifs (28). »
Il est important que l'enfant acquière les habiletés rudimentaires assez tôt pour pouvoir apprécier la lecture. En effet, les résultats de la « Jyväskylä longitudinal study of dyslexia » (22) montrent qu’au cours des premières années d’apprentissage, de faibles compétences en lecture semblent limiter l’intérêt des enfants pour la lecture : les enfants en difficulté manquent de motivation parce qu'ils luttent et ne ressentent ni plaisir ni compétence à lire. Or, pendant les dernières années scolaires, lire davantage conduit à une meilleure compréhension de l’écrit. Un faible niveau d'évitement de la lecture et une motivation à lire pourraient même agir comme mécanisme de compensation de la dyslexie chez les enfants qui ont rencontré des difficultés précoces. Enfin, certains enfants qui surmontent les problèmes associés à la première l'étape de l'apprentissage du décodage peuvent rencontrer plus tard des difficultés (fluidité de lecture, compréhension) et il est nécessaire de rester vigilant pour les identifier, même après quelques années à l'école pour prendre en charge les enfants qui le nécessitent et de continuer à soutenir l’intérêt des enfants envers la lecture.
Finalement, les difficultés d’apprentissages en langage écrit concernent de nombreuses disciplines (éducation, santé, sociologie, psychologie…) et l’action conjointe et coordonnée des acteurs est indispensable (20). Devant ce constat, la Haute Autorité de Santé a publié au mois de février 2018 le guide - parcours de santé des enfants présentant un trouble spécifique du langage et des apprentissages et établi deux approches complémentaires et parallèles pour les enfants concernés : une approche pédagogique avec mise en place de programmes spécifiques pour les enfants repérés en difficulté dans la mise en place du décodage et de la fluence en lecture, une approche de type sanitaire définissant des interventions de premier recours dans les troubles simples, et de second recours dans les troubles complexes (29).
Dans cette dynamique, l’Agence régionale de santé Occitanie a défini dans le cadre du PRS 2018-2023 des priorités opérationnelles en matière de prévention des difficultés de développement du langage oral et d’acquisition du langage écrit, et d’organisation des soins en premier et second niveau de recours à l’échelle de la région, et a missionné Occitadys pour les soutenir (30,31).
Valérie Katkoff a été chargée de ce projet et a recensé les données bibliographiques, projets de recherche et expérimentations en cours afin de faciliter l’intégration et l’utilisation des connaissances existantes par les différents acteurs régionaux. Comme vous pourrez le découvrir pendant les deux journées du workshop organisé les 12 et 13 mai 2022 sur la prévention des difficultés d'apprentissage du langage écrit, ce domaine est très riche de réflexion et de créativité. S’il n’existe pas encore de position pleinement consensuelle sur les modalités d’action, les différents acteurs se rejoignent dans une volonté forte d’atteindre l’objectif de réduction de l’illettrisme et sur cette certitude :
L’échec dans l’apprentissage de la lecture n’est pas une fatalité !
Références bibliographiques
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Pour aller plus loin :
- Découvrez toutes les informations sur le Workshop langage écrit
- Retrouvez l'interview de Sylvia Topouzkhanian, orthophoniste et membre du comité d'experts du workshop langage écrit.
- Retrouvez notre dossier spécial workshop langage oral (2021) :
- Retrouvez les missions de prévention d'Occitadys :